La Fabrique à images
Gâteau de Lune de Chen Jiang Hong

Dans ce livre, je raconte l'histoire d'une princesse qui vit dans le Palais du Ciel et qui, un jour, s'enfuit pour descendre sur la terre. Elle s'y plaît, elle rencontre un jeune homme, ensemble, ils ont un enfant. Mais le père de la princesse, l'empereur du Ciel, est si fâché qu'il l'oblige à remonter dans son palais. Plus tard, le fils décide de trouver le chemin qui mène au ciel pour rejoindre sa mère…

C'est un livre très personnel que j'ai dédié à ma mère.
J'ai commencé à penser à cette histoire quand elle est tombée malade et que je faisais des allers-retours entre Paris et la Chine. C'était une période difficile, des moments douloureux… En automne 2016, ma sœur m'a appelé et nous avons parlé de la Fête de la lune que toutes les familles chinoises célèbrent à cette époque de l'année. Ça m'a donné envie de faire un livre qui parlerait de l'amour, si fort, si fondamental entre une mère et son fils, mais aussi de la vie, de la mort et du passage entre le ciel et la terre. C'est pour cela que je fais descendre la princesse sur la terre, par opposition à ce que l'on dit d'une personne décédée, qui "monte au ciel"…

C'est la première image de l'histoire. On y découvre la princesse qui vit dans le ciel. J'ai choisi d'utiliser le gris pour montrer la froideur du ciel et aussi le sentiment de solitude. Elle regarde en bas. On comprend son désir, son envie de descendre.

La voilà descendue sur terre, elle a déjà rencontré un jeune homme. Entre la double page précédente et celle-ci, il y a un fort contraste. Après le gris et la froideur du ciel, j'ai mis ici beaucoup de couleurs luxuriantes, des fleurs, des arbres, de la lumière. On voit que la vie sur terre est très séduisante pour la princesse.

La princesse s'installe sur terre, habite une maison. Je voulais montrer la douceur, l'amour, les générations qui se succèdent. J'ai essayé de séparer les scènes avec des plantes, des feuillages, ce qui donne une dimension plus vivante.
Avec ses scènes intérieures et extérieures, on peut vraiment circuler dans l’image, entrer, sortir, regarder de loin, s’approcher… Je zoome sur les personnages, puis je m'en éloigne : c'est comme dans un film.

Voici l'empereur, le père de la princesse. Le ton est froid. Il faut de la tension, car il est en colère. C'est inquiétant, mais il faut aussi que le dessin reste élégant, subtil. Avec la technique de la peinture chinoise, on peut avoir toutes ces nuances du trait, le travail de l'eau, de l'encre, des couleurs, du papier, c'est vraiment magique. On peut avoir vraiment des effets très subtils. Ce n'est pas moi ! C'est la technique qui permet tout ça.

C'est le jour du départ. On lit la détermination sur le visage du jeune garçon. Au milieu de la feuille de papier, j'ai commencé par dessiner une forme. Ce n'est ni un arbre, ni un rocher, c'est juste quelque chose d'abstrait, mais avec les teintes de l'automne. Ce mélange de couleurs, de traits… je trouve ça très beau. On peut vraiment entrer dedans et sentir avec ce rouge, la chaleur de la terre, l'amour, la passion.… C'est déjà le début du voyage.

Chaque fois que je commence un dessin, je démarre avec la composition. Ici, le petit garçon est en chemin. Je dois montrer que le voyage s'annonce périlleux, difficile et en même temps beau et mystérieux avec cette forêt noire, cette montagne bleue. J'ai commencé par tracer les grandes lignes : une ligne horizontale qui descend, ensuite une montée plutôt raide. Dans le dessin suivant j'ai privilégié les tournants, les virages.

En bas à gauche de ce dessin, on voit des feuillages rouges sur le rocher noir. Il s'agit d'un collage. Les feuillages proviennent d'un autre dessin que je n'ai pas gardé pour le livre. Mais je ne l'ai pas jeté ! Je ne jette aucun dessin, même les ratés. C'est une habitude que j'ai depuis l'enfance, pour ne pas gaspiller le papier. À l'époque j'en avais peu, car il était cher, et il l'est toujours d'ailleurs… Quand j'étais élève en Chine, lorsque notre professeur de calligraphie nous donnait une feuille de papier entière, il disait : ''aujourd'hui, c'est la fête !'' Et l'on peut toujours faire quelque chose d'extraordinaire à partir d'un dessin dont on n'est pas content. Comme ici, où ça fonctionne très bien.

La grande grue se pose devant le jeune garçon, puis elle lui parle. Quand je dessine, je ne prépare pas le dessin avec le crayon, je dessine directement à l'encre et au pinceau. Il faut vraiment beaucoup de précision, de maîtrise. L'erreur est possible oui, mais quand on dessine à 50 ans, l'erreur se manifeste autrement, c'est plutôt… Comment dire ?… On va trouver ça difficile à croire si je parle comme ça : mais c'est quelque chose de ''mystique''… Il y a des moments quand on dessine le pinceau à la main où on n'est plus soi-même. C'est à dire, quand je dessine une grue, je ne dessine pas simplement une grue : je suis la grande grue. Dessiner ce n'est pas seulement ''représenter'', c'est ''être''. La calligraphie chinoise, c'est ça. La peinture chinoise, c'est ça…

J'ai refait le dessin du petit garçon sur les genoux de sa mère cinq fois.
Là, ça va. Même si, je suis toujours un peu…
Je voulais vraiment trouver le bon feeling, l'amour juste entre la mère et l'enfant.
Je ne voulais pas en faire trop ni faire pleurer le lecteur.
Je ne voulais pas être trop en retrait, ni qu'il n'y ait pas assez d'émotion.
Ni trop, ni pas assez. Il fallait que ce soit juste.

C'est le dessin de la tristesse, de la fragilité. C'est très important tous ces traits dans le ciel, avec cette lueur, cette lumière. Ça permet de sentir le vent, l'air qui est un peu froid peut-être. Si j'avais remplis cette couleur jusqu'à la rendre opaque, bleue, on n'aurait pas du tout le même sentiment, la même sensation. C'est fait avec de l'eau, un pinceau, des couleurs.

Pour faire le fond, si je veux obtenir des nuances, des mélanges, j'utilise des couleurs très très diluées dans de l'eau que je pose en plusieurs couches. Dans la partie claire du ciel que l'on voit ici, il y a six couches, peut-être davantage… Il faut travailler tant que c'est humide et bien maîtriser son geste car le papier de riz est très fragile et se déchire facilement.
Mais il a un avantage. Le papier de riz est tellement absorbant, qu'il donne vie à un trait. Ça bouge, ce n'est pas figé, parce que le trait part et voyage entre les autres lignes.
Ça vient de la culture orientale. Si on lit les philosophes, comme Lao Tseu par exemple, on voit que rien n'est jamais figé. La technique de la peinture chinoise permet cela. Avec toute la philosophie qu'il y a derrière…