https://vimeo.com/248326840
Pour le bébé la langue est d’abord une voix, des voix. Avant de comprendre les mots, le bébé fait du sens avec tout un équipement de signes, dont nos mimiques par exemple auxquelles il est très relié. Mais la voix, son intonation, son rythme, son volume, sa prosodie… est à la fois le premier lexique du tout-petit et ce qui motive à ses yeux l’interactivité langagière : notre voix lui donne le goût du langage. Et ce qui est fantastique, c’est que nous le « savons ». Toutes les cultures du monde possèdent ce petit bric à brac de mots qui « chantent », propre aux échanges avec le bébé : comptines, jeux de doigts, chansonnettes, textes des livres,… sont là pour engager ainsi avec le tout-petit cette conversation qui ne s’arrêtera plus jamais.
Lire à voix haute le texte du livre donne au tout-petit la chance d’entendre, dans la voix de ceux qu’il aime, un petit fragment de langue de façon répétée et associé à une image. Un « arrêt sur son » dans cette copieuse soupe de mots dont il est entouré, quel cadeau ! L’enfant, très petit, mémorise très vite le texte lu ; plus tard il se le raconte à lui-même, le réclame si l’on s’en écarte… Cette constance est un élément sécurisant dans sa petite vie en construction. Il ne comprend pas tout ? Quelle importance ? Quand nous lui parlons, il ne comprend pas tout. Et, à juste titre, ça ne nous inquiète pas. L’essentiel est qu’ainsi nous lui offrons matière à penser, à construire du sens, à élaborer du langage…
Allez en bibliothèque ! Cela vous semble une étrange réponse ? La bibliothèque permet au parent déconcerté devant le choix d’un livre pour son bébé, de tâter le terrain. Pour zéro centime, on repart à la maison avec une petite moisson de livres. Lisez-les à votre tout-petit, à voix haute en suivant le texte, mais aussi en bruitant, en vous laissant emmener par son petit doigt tendu, ses oh ! et ses ah !...Laissez votre enfant vous étonner. Il a ses goûts, parfois surprenants, et vous le fait savoir. Battant des mains, gloussant, rampant vers l’élu,… il vous en redemande la lecture. Ces livres-là, achetez-les et gardez-les « pour toute la vie » . Ils auront fait partie de son histoire. Et même si nous ne savons pas pourquoi, lui le sait : votre tout-petit s’est fait de ce livre un compagnon et nous, il ne nous reste qu’à lui en donner la lecture, tout simplement…
La partie la plus importante de mes textes naît au décours du dessin. Mes dessins me « parlent » cette langue de l’échange entre le tout-petit , le livre et la voix qui lui en donnera le texte. Dans le dessin comme dans l’écriture, je m’attache à suivre une sorte de chemin fait à la fois de connu et d’inconnu, de repères et de surprises, de fluidité, d’un certain rythme mais y créant ou laissant des failles, des brèches, de l’irrésolu, une poignée d’humus où puisse croître la pensée... Sinon, on s’ennuie. Et on s’ennuie à deux ! Parce que je garde à l’esprit que mes livres, s’adressant pour une grande part aux très jeunes enfants, sont avant tout véhiculés par une voix d’adulte. Qui sera mon premier lecteur, le messager nécessaire pour donner aux oreilles du tout-petit la voix de mon livre ?
Je leur dirais, pour vos premières lectures avec votre bébé, choisissez des livres dont le texte vous semble aisé à lire. Une écriture donnant aux mots qui s’enchaînent une sorte de musique , qui viendra à vos lèvres avec plaisir. Puis laissez-vous aller à la joie de partager ce moment avec votre enfant! Tant pis si c’est imparfait, si vous butez sur un mot, si vous en écorchez un autre … À votre bébé , ça lui est complètement égal ! Vous lui offrez ce petit temps d’arrêt dans la course de la vie pour faire chanter la langue et cela le captive… Votre voix vous semble inhabituelle, un peu nigaude même ?...N’écoutez que le ravissement de votre bébé. Il fera taire vos appréhensions : lui, il vous trouve prodigieux !
Evelio Cabrejo-Parra est né en 1942 en Colombie. Il est psychanalyste, linguiste et professeur. Grand défenseur de la lecture à voix haute aux bébés, il est vice-président d’A.C.C.E.S. (Actions culturelles contre le exclusions et les ségrégations).
La faculté du langage, c’est d’être capable de lier différentes choses entre elles pour construire quelque chose de nouveau. Ces assemblages, le bébé commence à les réaliser dès sa naissance lorsqu’il tente de distinguer et de reconnaître les voix qui l’entourent.
Il fait beaucoup plus qu’entendre : il écoute ! Il cherche à comprendre ce qui est dit, et, de sa position d’observateur ultra-sensible, il parvient très vite à créer du sens entre l’intonation d’une voix et les mouvements du visage du locuteur. Nous sommes le tout premier livre que lit, interprète et traduit un bébé.
L’adulte propose au bébé une activité partagée, la lecture, pour fixer son regard sur le monde extérieur. Il rend l’attention du bébé moins exclusive, en lui murmurant : « On va regarder quelque chose qui n’est ni toi, ni moi. » Le livre, à travers la voix de l’adulte, va alors alimenter la faculté d’écoute du bébé ; l’aider à s’approprier sa langue, à penser. Un bébé à qui on ne raconte pas d’histoires a des difficultés pour construire sa voix, car pour cela il faut d’abord avoir entendu quelqu’un parler. La littérature contribue à transmettre le langage à l’enfant de façon stimulante et enrichissante. C’est le compagnon qu’il aura à disposition toute sa vie pour parler, imaginer, fantasmer, rêver...
À force d’observation, le bébé comprend les gestes liés au livre et cherche à les reproduire. Il découvre et intériorise tous les apprentissages que l’objet livre et la lecture peuvent lui apporter. Par exemple que le livre a des pages, qu’elles peuvent être tournées, et que derrière chacune d’elle se trouvent de nouvelles couleurs et de nouvelles formes.
Quoi de mieux et de plus naturel alors, pour assimiler toutes ces informations, que de manger le livre ! Car si la bouche est le premier outil de contact du bébé pour connaître et comprendre son monde, elle est aussi la traduction littérale de l’acte de lecture : lire, c’est prendre les mots qui sont dans la feuille et les mettre dans la bouche !
Si les bébés sont aussi sensibles au langage de la littérature, c’est qu’elle a beaucoup plus à leur apprendre que le langage de la vie quotidienne. Dans les livres, il n’y a pas de phrases mangées par le flot des mots, mais une ponctuation réfléchie par l’écrivain qui laisse le temps au bébé d’associer ses idées et ses représentations mentales. Car là où les adultes comprennent par le contenu des mots, les bébés, eux, comprennent grâce à la musique de la langue créée par l’intonation de la voix. Et c’est parce qu’ils chercheront à répondre qu’ils construiront leurs premiers mots. Par l’identification et l’imitation, la littérature leur donne accès à cette complexité incroyable qu’est la diversité de la langue.
https://vimeo.com/248326840
Extrait d’un film produit par la Fédération Wallonie Bruxelles.
Le livre Bon... a été offert à tous les bébés nés en région Bruxelloise et en Wallonie de septembre 2017 à décembre 2018.
C’est un récit qui repose sur le « partage de la langue chantée » et qui fait écho au vécu d’un bébé : la gestation, la naissance puis la découverte de soi, prise de conscience essentielle avant de pouvoir aller vers l’autre.
Un QR Code sur la 4e de couverture permet d’écouter la comptine, Un petit canard au bord de l’eau.